CONTRE-RÉVOLUTION

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CONTRE-RÉVOLUTION

La Révolution ne fut pas un torrent impétueux balayant tout sur son passage; les idées de liberté et d’égalité n’ont pas triomphé d’un coup, sans susciter de résistance. À la Révolution s’est opposée, dès 1789, la contre-révolution, à l’innovation la tradition, à la croyance au progrès celle du péché originel. Loin de se limiter sur le plan idéologique, la lutte fut sanglante, divisant la France en deux camps, comme l’avaient fait les guerres de religion. Affrontement qui pèse aujourd’hui encore sur la vie politique comme sur l’historiographie française. Gauche, droite, du moins celle qui s’affirme comme telle, le combat remonte à la Révolution, et chacun a gardé de cette époque ses héros de prédilection, Marat et Robespierre pour les uns, Rivarol et Charette pour les autres.

La bataille des idées

La philosophie des Lumières nous semble aujourd’hui s’être imposée sans lutte véritable, tant les personnalités de Montesquieu, de Voltaire, Rousseau ou Diderot, de Raynal, Mably et Condorcet, à un degré moindre, dominent le XVIIIe siècle. En réalité, sans compter les difficultés rencontrées avec la censure (Voltaire réfugié à Ferney, Diderot enfermé à Vincennes), il ne faut pas oublier que ces auteurs ont été combattus par d’autres écrivains, que leurs idées ont été, de leur vivant, sévèrement contestées. La polémique contre les philosophes a été tenace, violente, acharnée, surtout dans le domaine religieux: neuf cents réfutations des Lumières publiées entre 1715 et 1789. Ces défenseurs de l’Église n’ont pas retenu l’attention de la postérité. Certains n’étaient pourtant pas sans talent, tel Fréron, auquel Voltaire voua une haine profonde. Son Année littéraire menait une lutte souvent efficace contre les penseurs à la mode. À la raillerie de Voltaire répondit, avec un énorme succès, celle de Palissot dans sa comédie Les Philosophes (1760). Mme de Genlis écrivit, en 1787, un traité sur La Religion considérée comme l’unique base du bonheur et de la véritable philosophie. D’autres œuvres, tombées depuis dans un complet oubli, remportèrent alors des triomphes éclatants: sept éditions pour Le Déisme réfuté par lui-même de l’abbé Bergier. Les tirages du Dictionnaire antiphilosophique de l’abbé Guenée ou du Catéchisme philosophique du jésuite Feller ne sont pas moins considérables. Il convient aussi de signaler l’influence du Comte de Valmont , ou les Égarements de la raison de l’abbé Gérard, encore lu au séminaire d’Issy au temps où Renan y était élève, si l’on en croit les Souvenirs d’enfance et de jeunesse .

Sur le plan politique, Lefèvre de Beauvray s’insurge dans son Dictionnaire social et patriotique (1770) contre les idées nouvelles. Il condamne la démocratie «parce qu’elle touche de plus près à l’anarchie que la monarchie au despotisme» et la liberté qui «mène à la subversion de tout ordre social». L’égalité enfin lui apparaît comme parfaitement utopique. Un autre penseur, Gin, s’attache à réfuter la théorie des pouvoirs chère à Montesquieu.

L’impact de ces ouvrages fut plus important qu’on ne le croit. On en trouve l’écho dans les cahiers de doléances qui ne reflètent pas uniquement, tant s’en faut, l’idéologie des Lumières, mais demandent au roi plus d’énergie dans la lutte contre l’impiété, quand ils ne font pas l’apologie de la monarchie.

Avant même les événements de 1789, le combat entre révolution et contre-révolution était déjà engagé, et chacun restait sur ses positions à propos des grands problèmes touchant à la liberté, à l’égalité et au progrès indéfini de l’homme.

La bataille parlementaire

Dès la réunion des États généraux, deux camps s’affrontent. Bientôt, on prendra l’habitude de les définir sous les vocables de «droite» et de «gauche». En effet, lorsque les États deviennent Assemblée nationale, les députés, qui avaient jusqu’alors siégé par ordre, se regroupent par opinion: les aristocrates à la droite du président, les patriotes à sa gauche; au centre, la Plaine ou le Marais, formé par les indécis.

Les orateurs de la droite qui tentèrent de forcer l’opinion du centre ont nom l’abbé Maury, un Provençal, fils de cordonnier, dont la truculence et la verdeur de vocabulaire stupéfiaient l’Assemblée, Cazalès, officier de dragons, de petite noblesse, l’abbé de Pradt... Déjà, on note que les meilleurs défenseurs de la monarchie et de la foi sont souvent d’origine modeste. Mais le manque d’unité doctrinale se fait sentir. Certains sont partisans, avec Mounier, d’une Constitution à l’anglaise; ce sont les monarchiens; mais une large fraction de la noblesse, après avoir réclamé la convocation des États généraux pour limiter, à son profit, l’absolutisme royal, découvre son imprudence et devient résolument conservatrice.

De plus, ces gentilshommes de province et ces ecclésiastiques sont mal à l’aise dans les débats politiques de l’Assemblée et paraissent désarmés devant la pression du peuple de Paris. Seule la presse royaliste montre quelque vigueur. Rivarol est le principal rédacteur du Journal politique national où il accable ses adversaires sous les traits que lui inspire un esprit féroce (de Mirabeau, il écrit: «Il est capable de tout, même d’une bonne action.») Les Actes des Apôtres sont également très lus, subventionnés, dit-on, par Louis XVI, où collaborent, avec Rivarol, Peltier, Malouet, Montlosier, Bergasse et Tilly. Citons aussi Le Journal de monsieur Suleau , La Gazette de Paris de Rozoi et L’Ami du roi de l’abbé Royou. Toutes les feuilles royalistes disparaîtront après le 10 août 1792. Déjà de nombreux journalistes contre-révolutionnaires, à l’exemple de Rivarol, avaient émigré.

Très vite, la partie parut perdue pour «le côté droit» sur le plan parlementaire. Avant même la séparation de l’Assemblée, les députés les plus intransigeants choisissaient la voie de l’exil.

L’émigration

C’est dans l’émigration, en effet, que la contre-révolution, après son échec parlementaire, a cru trouver sa principale forme d’action. Le mouvement a commencé en juillet 1789, le comte d’Artois et les Condé donnant le signal. Nombreux ont été alors les nobles qui ont quitté la France, surtout après les violences qui ont précédé ou accompagné la Grande Peur.

«Émigration de sûreté», a-t-on dit des premiers départs. Mais rapidement l’esprit a changé, dans la noblesse du moins. «Il ne suffit pas de se mettre à l’abri des vexations, écrit l’abbé Georgel, il faut encore opposer une digue à la Révolution.» C’est la pensée de Calonne. L’ancien contrôleur général des Finances organise un cabinet ministériel et une véritable cour autour du comte d’Artois. De son côté, le prince de Condé se charge de lever une armée, destinée à marcher sur Paris, avec l’appui des souverains de l’Europe.

Un rassemblement d’hommes en armes avait déjà eu lieu à Jalès, dans l’Ardèche; une légion bourguignonne avait été constituée par le comte de Bussy; des déserteurs étaient recrutés en Catalogne. Mais ces tentatives tournèrent court. Le prince de Condé réussit, en revanche, à former en Rhénanie, au cours de l’année 1791, une armée d’émigrés. Armée singulière, plus riche en officiers qu’en simples soldats. «C’était, dira Chateaubriand, la dernière représentation de l’ancienne France militaire, un assemblage confus d’hommes faits, de vieillards, d’enfants, descendus de leurs colombiers, jargonnant normand, breton, picard, auvergnat, gascon, provençal, languedocien. Un père servait avec ses fils, un beau-père avec son gendre, un oncle avec ses neveux...» Et Roger de Damas d’observer: «Concentrée à l’intérieur autour du roi, la noblesse eût peut-être sauvé la monarchie; au-delà des frontières, il n’y eut que quelques milliers de braves gens, mauvais soldats, indisciplinés et indisciplinables et quelques centaines d’oisifs pleins d’honneur et d’inconvénients, souvent à charge et rarement intéressants.» On n’a compté au total guère plus de dix mille émigrés combattants en 1792.

Les désillusions furent rapides. Lors de l’entrée en guerre de l’Autriche et de la Prusse contre la France, en avril 1792, à la suite précisément des dénonciations françaises contre ces rassemblements de troupes sur le Rhin, les corps d’émigrés furent embrigadés dans les armées étrangères pour y servir «de renfort et de réserve». Ce fut, après Valmy, la débâcle au lieu de la marche triomphale sur Paris que promettait le manifeste du duc de Brunswick. Fer de lance de la contre-révolution, l’armée du prince de Condé fut bientôt, après quelques opérations sans gloire, réduite à l’impuissance.

Désormais ne s’ouvraient aux émigrés que deux perspectives: la réflexion ou le complot.

La contre-révolution intellectuelle

Burke est le premier penseur d’envergure à dénoncer l’influence des idées révolutionnaires. Car c’est d’Angleterre, de cette Angleterre qui avait si fortement influencé Montesquieu et Voltaire, qu’est venue la réfutation la plus approfondie de la Révolution française. Elle vint d’un membre du parti whig, qui avait lutté pour la défense des libertés contre la tentative absolutiste de George III et pris parti pour les colons américains en 1775. Burke écrit en 1790 ses Réflexions sur la Révolution de France , livre torrentueux et passionné, véritable pamphlet contre l’œuvre de la Constituante.

On y trouve à la fois un refus de l’abstraction chère aux auteurs de la déclaration des Droits de l’homme («Je n’entre pas dans les distinctions métaphysiques, je hais jusqu’au son de ces mots») et une défense des préjugés («Vaincre un préjugé, c’est déclarer la guerre à la nature»). Burke fait l’apologie de la résistance à l’innovation et condamne la raison individuelle. Le succès du livre est prodigieux; il devient le catéchisme de la contre-révolution. À Paris, on ne s’y trompe pas. Mirabeau, à la tribune de la Constituante, qualifie son auteur, le 28 janvier 1791, de «détracteur superstitieux de la raison humaine».

La pensée de Burke a éclipsé celle d’autres théoriciens qui méritent pourtant de retenir l’attention. C’est ainsi que Sénac de Meilhan, qui écrira L’Émigré , publie, en 1790, Des principes et des causes de la Révolution française . Il montre que la Révolution est née d’une trop large diffusion des Lumières qu’il aurait fallu réserver aux classes les plus riches et les plus intelligentes, en laissant le peuple dans l’obscurantisme religieux. L’abbé Duvoisin ne rencontre guère plus d’écho avec sa France chrétienne, juste et vraiment libre , ni Ferrand avec L’État actuel de la France , où il est démontré que les idées de Rousseau sont inapplicables en France.

La mort de Burke, en 1797, a laissé le champ libre à d’autres théoriciens de la contre-révolution. La plupart ont subi néanmoins l’influence du penseur anglais. Le courant théocratique s’incarne en Joseph de Maistre et Louis de Bonald. Un Savoyard, d’abord favorable aux idées de Montesquieu, mais que les excès de la Révolution dégoûtent des Lumières, tel apparaît Joseph de Maistre, qui va mener une vie errante après l’invasion de la Savoie en 1792. Son œuvre maîtresse, Considérations sur la France , paraît en Suisse en 1796. On y trouve développée la nécessité d’un régime nouveau pour la France, fondé sur la religion, le régime théocratique. Le moteur de l’histoire, selon Maistre, c’est la Providence. Celle-ci a voulu châtier la France pour ses mauvaises mœurs en y déclenchant les désordres actuels. Mais la victoire de la contre-révolution est inéluctable. Dans la lutte entre le christianisme et la philosophie, le premier l’emportera au moment choisi par Dieu. L’influence de ce livre a été décisive sur l’entourage de Louis XVIII.

Quant à Bonald, il fait paraître dans le même temps, à Constance, sa Théorie du pouvoir politique et religieux , dont on peut résumer les trois tomes dans la fameuse formule: «Dieu est l’auteur de tous les États, l’homme ne peut rien sur l’homme que par Dieu et ne doit rien à l’homme que pour Dieu.»

Ces œuvres, quelque peu sévères, ont beaucoup moins séduit le lecteur contre-révolutionnaire que les Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme , publiés à Hambourg, en 1798. Leur auteur, l’abbé Barruel, voit à l’origine de la Révolution française un vaste complot maçonnique. C’est par l’intermédiaire des loges que la philosophie des Lumières a été systématiquement diffusée, dans le dessein d’abattre la monarchie et le christianisme. L’idée sera reprise par de nombreux historiens de droite, Taine, Cochin, Faý ou Gaxotte.

Mounier, dans Adolphe, ou Principes élémentaires de politique (Londres, 1795), représente un courant plus modéré, mais il condamne également la forme républicaine du gouvernement et stigmatise les abus des terroristes.

Les complots

Plusieurs complots ont tenté d’entraver le cours de la Révolution. C’est le marquis de Favras qui prévoit, aussitôt après les journées d’octobre 1789, l’enlèvement du roi des Tuileries. Travaille-t-il en relation avec le comte de Provence et la conjuration a-t-elle pour but de discréditer en définitive Louis XVI pour favoriser l’avènement du frère du roi? Dénoncé par ses complices, condamné à mort par le Parlement, Favras sera pendu avant d’avoir pu parler. À son tour, le baron de Batz, ancien spéculateur malheureux et député aux États généraux, tente de sauver Louis XVI puis Marie-Antoinette de l’échafaud. En vain. Il restera à la postérité pour avoir inspiré Dumas et Lenôtre. Peut-être a-t-il noué des liens avec les hébertistes et suscité certaines revendications démagogiques de cette faction afin de discréditer la Révolution.

D’une autre envergure, mais d’une moralité plus douteuse, est le comte d’Antraigues, qui fut lui aussi député aux États généraux et qui s’attacha à corrompre les milieux proches du Comité de salut public par l’intermédiaire de deux agents, Lemaître et Des Pomelles. Hérault de Séchelles fut-il le mystérieux correspondant qui le renseignait sur les délibérations du Comité? C’est peu probable. Toujours est-il que d’Antraigues vend les renseignements ainsi recueillis aux cours européennes. Leur valeur, telle que nous pouvons la juger à travers les bulletins communiqués par Drake au gouvernement britannique, est très variable. On y présente, par exemple, Sieyès comme jouant un rôle considérable, en contradiction avec les documents officiels que nous possédons. Une arrière-pensée anime la rédaction de ces bulletins: convaincre le cabinet de Londres que, à condition d’y mettre le prix, une restauration intégrale est possible.

Le comte d’Antraigues doit compter avec un rival, le Genevois Mallet du Pan, jadis admirateur de Voltaire et rédacteur du Mercure de France , que les événements de juillet 1789 ont détourné de la Révolution. Mallet du Pan apparaît toutefois comme plus libéral que d’Antraigues. Dans ses bulletins, il tente d’expliquer le cours de la Révolution à travers une philosophie qui lui est propre et qu’expriment ses Considérations sur la nature de la Révolution de France (1793). Pour lui, le pouvoir ayant échappé au roi, la noblesse a tenté de s’en saisir en mai 1789, mais a échoué. À son tour, la bourgeoisie, qui l’avait emporté en juillet de la même année, vient d’être écartée par les non-propriétaires. Mallet du Pan s’oppose à l’intransigeance de Louis XVIII dont il juge maladroite la déclaration de Vérone promettant un châtiment exemplaire à tous les Français compromis dans la Révolution. Notons que tous ces conseillers et correspondants des émigrés recommandent de retourner contre les hommes du Comité de salut public les armes dont ils se servent et d’utiliser leurs méthodes puisqu’elles assurent leur succès. L’idée sera reprise par les «colonels d’Alger» – Godard, Argoud, Lacheroy –, face à la guerre révolutionnaire du XXe siècle.

Les insurrections armées

Ni les armées d’émigrés, ni les complots n’ont sérieusement mis en danger la Révolution. Il n’en fut pas de même des insurrections qui secouèrent l’ouest et le midi de la France, puis Paris.

Au soulèvement de l’Ouest on assigne diverses raisons. L’origine religieuse est difficilement contestable. Le refus de la Constitution civile du clergé (sorte de réorganisation laïque de l’Église) par un nombre élevé de prêtres de Normandie et de Bretagne, à la suite de la condamnation pontificale, a contribué à jeter beaucoup de paysans dans la lutte armée contre la Révolution athée. L’opposition ville-campagne a joué aussi: les révolutionnaires, bourgeois, acquéreurs de biens nationaux ou animateurs de loges maçonniques, sont dans les villes; les paysans, en revanche, restent sous l’influence des seigneurs, d’autant que dans bien des régions de l’Ouest le régime féodal était assez doux. La mort de Louis XVI enfin provoqua un choc profond. Y eut-il complot et quel fut le rôle exact du marquis de la Rouairie? Les historiens sont divisés. C’est en tout cas la levée en masse décrétée par la Convention en février 1793 qui mit le feu aux poudres, les ruraux de l’Ouest refusant d’aller servir loin de leurs fermes sous les ordres d’officiers issus des villes.

Le 12 mars 1793, commence la guerre de Vendée aux cris de: «À bas la milice!» Guerre de partisans, favorisée par la nature du bocage, c’est la «petite guerre» dont Grandmaison avait défini les règles en 1756.

D’abord victorieuse, l’armée catholique et royale est défaite à Cholet le 17 octobre 1793, puis anéantie à Savenay le 23 décembre. Aux opérations militaires trop audacieuses va donc succéder la simple guérilla. Puisaye, l’un des chefs de l’insurrection, passe en Angleterre pour déterminer Pitt à soutenir un débarquement d’émigrés. Dans l’intervalle, Charette négocie à La Jaunaie, puis Stofflet dépose les armes. Pacification éphémère. La guerre reprend et, au cours de l’été, les émigrés tentent enfin le débarquement prévu par Puisaye. Hoche écrase sans difficultés cette tentative mal préparée et mal soutenue par les Anglais.

La Vendée a parfois fait oublier d’autres insurrections: celle de Lyon, plus proche en 1793 du fédéralisme girondin que du royalisme, celles de Marseille et de Toulon. La chute de Robespierre a entraîné une première terreur blanche dans le Sud-Est. Les compagnons de Jéhu (ou plus exactement de Jésus) entreprirent la chasse aux Jacobins, sans qu’il fût toujours possible de distinguer entre les faits de droit commun et l’idéal politique.

En fait, la partie décisive se joue à Paris. La nouvelle Constitution, discutée en 1795, établissait un régime constitutionnel censitaire proche de celui de 1791 et permettait aux royalistes de nourrir l’espoir d’une victoire aux élections, première étape vers une restauration monarchique. Devant ce danger, les thermidoriens, peu soucieux de laisser la place, prirent un décret décidant que, parmi les nouveaux députés, il y aurait obligatoirement deux tiers de Conventionnels. Les royalistes tentèrent alors l’épreuve de force. Ils firent marcher sur la Convention, le 13 vendémiaire (5 oct. 1795), les sections de Paris qui leur étaient favorables. Mal commandés par Danican, les bons bourgeois de la Garde nationale furent écrasés près de l’église Saint-Roch par les canons de Bonaparte.

La contre-révolution sous le Directoire

Sous le Directoire, la contre-révolution ne désarme pas. Elle comprend l’importance nouvelle des généraux et, par l’intermédiaire d’agents douteux comme Fauche-Borel ou le comte de Montgaillard, elle s’attache Pichegru et probablement Moreau, en vue d’un coup d’État militaire. Dans le même temps, les royalistes gagnent les premières élections du Directoire. Une restauration paraît possible. Le 18 fructidor (4 sept. 1797), Barras, appuyé par Augereau, prend les devants. Pichegru et ses partisans, les clichyens, du nom du club où ils se réunissaient, sont arrêtés et déportés.

Durement atteint, le mouvement royaliste, sous l’impulsion de Royer-Collard, de Montesquiou et de Dandré, se limite à préparer l’action d’instituts philanthropiques à Toulouse, Bordeaux, Lyon... Sous l’impulsion de ces instituts, une timide insurrection du Midi est facilement comprimée par le Directoire, mais l’Ouest se soulève de nouveau avec Frotté, Bourmont et Cadoudal.

Les complots sous le Consulat

Une fois dissipée l’équivoque qui entoura le coup d’État du 18-Brumaire, la contre-révolution repart à l’assaut. Mais Bonaparte lui porte des coups très durs. L’amnistie favorise le retour des émigrés, affaiblissant la position de Louis XVIII, le Concordat signé avec Pie VII prive la contre-révolution du soutien de l’Église; la police de Fouché, qui dispose dans la capitale d’un réseau de commissaires remarquables (Alletz, Beffara, qui donna, le premier, la date exacte de la naissance de Molière), démantèle la contre-police mise en place par Hyde de Neuville et retrouve la piste des auteurs de l’attentat contre le Premier consul, le 3 nivôse an IX (24 déc. 1800), les chouans Saint-Réjant et Carbon. Enfin, la Vendée est pacifiée par l’intermédiaire de l’abbé Bernier: Cadoudal passe en Angleterre, Frotté est fusillé.

Une ultime conjuration qui réunit Cadoudal, Pichegru et Moreau, prévoit, en 1804, l’«enlèvement» de Bonaparte (en fait, son assassinat, malgré les scrupules religieux de certains participants qui n’admettent pas la théorie de l’Église sur le tyrannicide) et la venue d’un prince qui préparerait le retour de Louis XVIII, Pichegru s’assurant de l’armée. La conspiration est découverte, Moreau exilé, Pichegru retrouvé étranglé dans sa cellule, Cadoudal guillotiné. Les opposants en sont désormais réduits à des coups de force dans l’Ouest, comme l’enlèvement de l’évêque de Vannes. «Nous voulions faire un roi, nous avons fait un empereur», ironise Cadoudal avant de mourir. L’exécution du duc d’Enghien, pris pour le prince prévu dans le complot et enlevé sur le territoire du duché de Bade, en rassurant les anciens régicides favorise en effet l’avènement de l’Empire.

L’Empire

Idéologues contre néo-monarchistes

Le débat sur la Révolution ne cesse pas pour autant. À l’Institut et aux idéologues, tenants des Lumières, s’opposent les néo-monarchistes, hommes nouveaux, occupant souvent des emplois officiels et animant des feuilles dont l’influence est grande, l’une d’elles, Le Journal des débats , dépassant 30 000 exemplaires. En 1819, Chateaubriand évoquera ses camarades de lutte, ces adversaires de la Révolution qui limitèrent, prudemment il est vrai, leur action à un débat d’idées: «Lorsque la France, fatiguée de l’anarchie, chercha le repos dans le despotisme, il se forma une ligue des hommes de talent pour nous ramener aux doctrines conservatrices de la société. MM. de La Harpe, de Fontanes, de Bonald, M. l’abbé de Vauxcelles, M. Guéreau de Mussy écrivaient dans Le Mercure ; MM. Dussault, Feletz, Fiévée, Saint-Victor, Boissonade, Geoffroy, M. l’abbé de Boulogne combattaient dans Le Journal des débats .» L’attaque est menée contre les philosophes. Geoffroy, dans son feuilleton des Débats , s’en prend au «fanatisme» de Voltaire. Ses critiques choisissent aussi pour cible les contemporains plus ou moins suspects de sympathie pour les Lumières: Mercier, Jouy, Collin d’Harleville, Picard, Étienne, Raynouard. En 1804, la polémique entre Geoffroy dans les Débats et Roederer, libéral, dans Le Journal de Paris , devient si violente que Napoléon doit l’interdire. Une doctrine se dégage, refusant l’esprit critique et l’abstraction du XVIIIe siècle, affirmant le respect de la foi (Chateaubriand vient d’écrire le Génie du christianisme ) et une certaine admiration pour les institutions de l’Ancien Régime. Assez curieusement, ce néo-monarchisme reste national. Comme plus tard l’extrême droite vitupérera la musique «germanique» de Wagner ou de Suppé, les auteurs du Mercure ne font aucune référence aux contre-révolutionnaires allemands, Brandès ou Gentz.

Ce courant monarchiste s’est rallié dès 1802 à Bonaparte. Il trouve dans l’Empire et l’hérédité un régime fort, à défaut d’être tout à fait légitime, empêchant un retour de la Révolution.

Les Chevaliers de la foi

Le premier, Chateaubriand prend, prudemment, ses distances après l’exécution du duc d’Enghien. Mais c’est l’arrestation du pape, en 1809, qui relance l’opposition contre-révolutionnaire. Ferdinand de Bertier, fils de l’intendant de Paris massacré en juillet 1789, regroupe autour de lui un certain nombre de jeunes catholiques de bonne noblesse (Montmorency, Noailles) dans une association secrète, les Chevaliers de la foi, dont le modèle est moins les fameux «collets noirs», royalistes du Directoire, popularisés par Boisgobey, que la franc-maçonnerie rendue responsable de la Révolution. Toujours l’idée de reprendre les méthodes de l’adversaire.

Les Chevaliers de la foi ont contribué à diffuser la bulle d’excommunication de Napoléon par Pie VII; ils ont été mêlés, avec l’abbé Lafon, à l’affaire Malet qui aboutit à l’arrestation des chefs de la police (Savary, Pasquier, Desmarest), mais ne put renverser le régime: ils ont, en 1814, à la faveur des défaites de Napoléon, provoqué la défection de Bordeaux puis de Toulouse, mais c’est à Paris que d’autres acteurs portent le coup décisif: Talleyrand, Vitrolles, Semallé.

La Restauration

La Restauration de Louis XVIII n’a pourtant pas comblé les vœux de la contre-révolution. Ce n’était plus le souverain de la proclamation de Vérone qui montait sur le trône mais un monarque constitutionnel, gouvernant selon la Charte. Si les anciens monarchiens s’en accommodèrent, les émigrés de l’extérieur, comme Blacas, ou de l’intérieur comme Frénilly, ne purent l’admettre. Leurs excès précipitèrent le retour de Napoléon. Retour sans lendemain, mais qui se fit aux cris de «les aristocrates à la lanterne» et de «mort aux prêtres», révélant l’existence de deux France, celle de la Révolution et celle de la contre-révolution.

L’année 1830 voit la défaite des ultras. Le parti légitimiste, avec Chateaubriand et Berryer, s’épuise en complots sous la monarchie de Juillet (la chevauchée de la duchesse de Berry), survit au second Empire, échoue dans sa tentative de restauration du comte de Chambord, dans les débuts de la IIIe République.

L’Action française, sous l’impulsion de Maurras, reprend le débat idéologique sur la Révolution. Elle dénonce le parlementarisme, la corruption démocratique et les méfaits des hommes de 1789. Léon Daudet est particulièrement violent dans Deux Idoles sanguinaires: la Révolution et son fils Bonaparte (1939), mais cette violence se retrouve aussi chez des écrivains fort divers comme Louis Noir, Haraucourt ou Hugues Rebell à propos duquel Boylesve affirme: «L’idée seule de l’État démocratique lui tordait les entrailles.» Notons au passage que le cinéma ne présente alors la Révolution (Scaramouche d’Ingram, Le Conte des deux cités de Conway, Marie-Antoinette de Van Dyke) que sous les traits de brutes avinées (à la façon des gangsters cinématographiques de Howard, puis Brahm et Art Napoléon), La Marseillaise de Renoir faisant exception. On retrouvera curieusement une nostalgie identique du fascisme dans le cinéma italien d’après 1945, à travers certains personnages joués par Gassmann.

Vichy apparaît comme la revanche des idées contre-révolutionnaires, mais sans le roi. Liée comme en 1792 et 1814, en dépit de son nationalisme, au destin des envahisseurs de la France, la contre-révolution échoue une nouvelle fois et sort écrasée de la tourmente. Elle ne survit plus aujourd’hui que sous la forme de groupuscules nostalgiques et à travers les œuvres de quelques écrivains de talent comme Michel de Saint-Pierre.

contre-révolution [ kɔ̃trərevɔlysjɔ̃ ] n. f.
• 1790; de contre- et révolution
Mouvement politique, social, destiné à combattre une révolution. Des contre-révolutions.

contre-révolution, contre-révolutions nom féminin Mouvement politique ou social destiné à combattre une révolution, à en ruiner les résultats. (avec une majuscule) Mouvement d'opposition à la Révolution française, visant à détruire l'œuvre de cette dernière et à restaurer l'Ancien Régime.

contre-révolution
n. f. Mouvement politique visant à la destruction des résultats d'une révolution. Des contre-révolutions.

⇒CONTRE-RÉVOLUTION, subst. fém.
Mouvement politique et social s'opposant à une révolution. Ne t'ai-je pas toujours dit qu'un système de contre-révolution pouvait seul rendre la vie à la révolution? La voilà à nos portes! (LAMART., Corresp., 1830, p. 55) :
1. Quant aux moyens, il me semble impossible qu'en ne négligeant pas tes amis en Suède, en continuant à te bien tirer des affaires du Roi, en l'entretenant toujours dans tes dépêches de l'impossibilité d'une contre-révolution, non en démocrate mais en homme qui juge bien les caractères et les choses, tu ne parviennes à conserver ce qui t'est solennellement promis.
Mme DE STAËL, Lettres de jeunesse, 1790, p. 393.
2. Et, mis en confiance par mon air attentif, il me livre ses rêves : porter un coup au bolchevisme, faire quelque chose pour que s'unissent, en France, toutes les forces contre-révolutionnaires éparses. Déjà des bailleurs de fonds ont été pressentis, et il cite le nom d'un israélite richissime. L'inconvénient est qu'une contre-révolution n'irait pas sans un grand massacre de juifs, et comme les bailleurs de fonds se recrutent généralement parmi les juifs...
GREEN, Journal, 1931, p. 50.
Rem. Pour le rapport avec réaction, cf. DUB. Pol. 1962, p. 55 : ,,Contre-révolution et contre-révolutionnaire apparus pendant la Révolution ont été longtemps les substituts sémantiques de réaction et réactionnaire (...). Mais en 1869, les termes apparaissent plus vagues. Ce n'est plus qu'exceptionnellement que l'on voit apparaître la valeur d'emploi sociale (...). [Le] couple antonymique donnant réaction — réactionnaire, en évoluant conjointement avec les structures sociales, rejette peu à peu les groupes synonymiques dans une fonction historique.``
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1835-1932. Étymol. et Hist. 1790 (Le Moniteur, t. 3, p. 120). Composé de contre- et de révolution. Fréq. abs. littér. :117.

contre-révolution [kɔ̃tʀəʀevɔlysjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1790; de contre-, et révolution.
Mouvement politique, social, destiné à combattre une révolution. Réaction. || Des contre-révolutions.
0 (…) des crises de contre-révolution, de réaction furieuse (…) une longue chaîne de violences rétrogrades et de haines basses, de représailles et de servitudes.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, XXIII, p. 256.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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  • Contre révolution — La contre révolution est l’ensemble des moyens mis en œuvre pour s’opposer à une révolution, des ouvrages théoriques aux moyens militaires. Elle inclut tout ce qui, après la révolution, tente d’en annuler les effets, tout ou partie, et même bien… …   Wikipédia en Français

  • contre-révolution — CONTRE RÉVOLUTION. s. f. Seconde révolution en sens contraire de la première, et rétablissement des choses dans leur état précédent …   Dictionnaire de l'Académie Française 1798

  • Contre-révolution — L expression contre révolution désigne non seulement l’ensemble des moyens mis en œuvre pour s’opposer à une révolution, mais aussi des courants de pensée opposés, jusqu au début du XXe siècle, à l héritage révolutionnaire des 18ème et 19ème …   Wikipédia en Français

  • Révolution et contre-révolution en Allemagne — est un livre de Friedrich Engels, avec la participation de Karl Marx. Sources (en) Revolution and Counter Revolution in Germany First published in English 1896. Ed. Eleanor Marx Aveling …   Wikipédia en Français

  • contre-révolution — (kon tre ré vo lu sion) s. f. Révolution qui tend à détruire les résultats politiques d une révolution antécédente.    En un sens plus étroit, le mouvement qui tend à annuler la Révolution française. •   Ces esprits perturbateurs et malveillants… …   Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré

  • CONTRE-RÉVOLUTION — n. f. Révolution politique qui tend à détruire les résultats de celle qui l’a précédée. Des contre révolutions …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 8eme edition (1935)

  • CONTRE-RÉVOLUTION — s. f. Révolution politique qui tend à détruire les résultats de celle qui l a précédée …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 7eme edition (1835)

  • Nationalisme contre-révolution — Nationalisme contre révolutionnaire Le courant du « nationalisme contre révolutionnaire » fait référence au christianisme, au monarchisme, à la contre révolution et au nationalisme traditionnel (qui conçoit la France comme un État… …   Wikipédia en Français

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